15/11/2015

13.11.15

J'avais 14 ans et c'était mon premier concert. Ma meilleure amie avait gagné des places à la radio et nous avait emmené voir Tokio Hotel. J'étais rebelle, excitée et insouciante. C'était le 26 novembre 2006.
J'avais 16 ans. Ma meilleure amie m'avait offert une place pour aller voir Paramore à Paris. C'était le 16 juin 2008 au Bataclan.
J'avais 20 ans et avec ma meilleure amie on était au premier rang, contre la scène, aux pieds d'Abel, lors de la première date parisienne de The Weeknd. C'était le 5 juin 2012 au Bataclan.
Quelques jours plus tard, je retourne au Bataclan. Avec ma grande sœur cette fois, pour entendre jouer un groupe qui a bercé notre adolescence : The Offspring. C'était le 12 juin 2012.
La dernière fois que je suis allée au Bataclan, c'était un peu par hasard. C'était le 22 septembre 2014. Ma meilleure amie avait acheté des places pour son pote, mais ne pouvait plus s'y rendre donc j'ai accepté de prendre la place.
Plus d'un an plus tard, cette salle de concert qui a servi à créer pour moi d'inoubliables souvenirs a été le théâtre d'abominations.




Début d'une soirée détente et rigolote à la maison affalée devant un épisode de "2 Broke Girls" avec un autre de "The Big Bang Theory" au programme. Sur Facebook, un ami lance l'alerte à la fusillade dans le 10e arrondissement et conseille de ne pas sortir de chez soi. Je me dis que ça doit être un règlement de compte, "rien de grave". Puis c'est Twitter qui prend le relai et envoie des notifications à la chaîne. Je comprends que c'est grave, mets mon épisode sur pause, lis en diagonal les tweets. Mon sang ne fait qu'un tour. Je cours dans le salon allumer la télé devant ma mère qui ne comprends pas mon effroi. Et là, l'horreur sur mon écran. Il était un peu après 21h30. A mesure que les infos arrivent, je reçois des messages de mes amis et de ma sœur qui me demandent si je suis à l'abri. Ma meilleure amie sur Paris au moment des faits m'appelle en panique. Trop stressée de mon côté, je n'ai pas su réagir. Je l'ai certainement laissée en plan quand elle craignait pour sa vie. Puis les mauvaises infos tombent: le petit frère d'une connaissance coincé à Bastille, un ami habite dans la rue des fusillades, une amie est au Stade de France, une autre au Bataclan...

Rien ne m'a plus effrayé que cette prise d'otage dans cette salle de concert que je connais que trop bien. L'idée d'être surpris par la mort incarnée en plein moment d'extase musical me glace le sang. Être pris au piège dans cette petite salle. Le bruit des balles mélangées à celle des guitares. Quelle horrible musique cela devait être. Cette salle devait être pleine de meilleurs amis, de frères et sœurs, d'amoureux... Des innocents. Cette projection se passe de vidéos accablantes. Elle relève de l'empathie et de l'humanité. Comme ses élans de solidarité qui ont suivi sur les réseaux sociaux. Avec les annonces de portes ouvertes et les avis de recherche, nous avons tous trouvé la force de tirer le meilleur de nous dans cet enfer. Sur les photos qui circulaient, que des sourires de gens qui auraient pu être nos frères, nos sœurs, nos meilleurs amis, des gens avec qui nous aurions pu boire une bière, des gens que nous aurions pu rencontrer en soirée ou en vacances. Les nôtres sans être les nôtres. A chaque annonce de décès, on a l'impression de perdre l'un des siens. Mais on continue de se battre pour les autres. On continue de relayer les annonces de portes ouvertes pour ceux coincés dans la rue. On continue de retweeter cinquante fois la même photo jusqu'à ce que son autre moitié la retrouve, ou pas. Quelque part, s'enfermer dans cet élan de solidarité, c'était une façon de ne plus se sentir impuissant face à l'horreur, de contribuer, d'aider ceux dans la détresse. Jusqu'à ce que la bulle éclate quand on est submergé par les avis de décès.

Aujourd'hui je ne peux plus. Je ne peux plus voir défiler ces visages souriants qui s'en sont allés. Aujourd'hui je l'avoue j'ai peur. J'ai peur d'aller à Paris, j'ai peur de prendre le RER, le métro, le bus, l'avion. J'ai peur d'aller à l'université, j'ai peur d'aller boire une bière à Paris. J'ai peur d'être là au mauvais moment. J'ai peur que mes proches soient là au mauvais moment. J'ai peur quand mon téléphone sonne. Mais ce n'est que temporaire. Demain, nous allons relever la tête, nous allons leur faire un gros doigt d'honneur et nous allons reprendre possession de notre ville, de nos bars, de nos restaurants, de nos salles de concert. Nous l'avons déjà fait.

Il y a des choses qui ne s'oublient pas: le bruit des explosions, les témoignages horrifiants, les visages hagards, le bruit des rafales de kalashnikov, la voix grave des présentateurs télé et des politiques... N'oublions pas. N'oublions pas que c'est le quotidien d'êtres humains à travers le monde. Pensons à eux. Ne regardons pas que notre nombril et utilisons notre solidarité et notre humanité pour leur venir en aide aussi. Niais, utopique, Bisounours, peut-être mais le message est le suivant : restons unis et forts pour mettre un terme à ces actes diaboliques et barbares qui gangrènent notre planète.

Les athées n'en voudront peut-être pas mais vraiment, mes prières vont pour Paris et le reste du monde.



Armelle De Oliveira

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